Avec les beaux jours, les balades ont repris. Ce Mercredi, organisée par "Patrimoine et Chemins",
Salon Patrimoine et Chemins : News
Notre association Salon Patrimoine et Chemins a pour but de sauvegarder et valoriser le patrimoine historique, culturel, naturel et immatériel de Salon de Provence et du pays salonais comme facteur
association fort intéressante de Salon de Provence, nous sommes allés en très petit nombre, à cause de la Covid, sur les traces des estives.
Et comme guide, personne ne pouvait être plus avisée que Myriam Mayol, membre de l'association et surtout l'auteur d'un superbe livre paru récemment sur ces huileries et savonneries de Salon ""De l’olivier à l’estive, l’épopée industrielle de Salon", que vous pouvez acheter par exemple ici :
Magazine MDP 62 - Interview de Myriam Bertero-Mayol
À l'occasion de la sortie du livre De l'olivier à l'estive, l'épopée industrielle de Salon, l'une des auteures, Myriam Bertero-Mayol, nous a accordé une interview afin de nous le présenter et...
http://www.collectifprovence.com/Magazine-MDP-62-Interview-de-Myriam-Bertero-Mayol
de plus, Myriam Mayol enseigne bénévolement le provençal dans une autre association locale.
Tout d'abord, qu'est-ce qu'une estive, ici à Salon.
Le mot estive vient du latin "tempus aestivum = été". De ce mot est venu le verbe "estiva" = être en été, donc par analogie le sens s'est orienté vers "nourrir ou garder des animaux sur des pâturages de montagnes en été".
Il s'avère que "estiva" ou "estiba" veut aussi dire, entre autres, "ranger, arranger, comprimer les marchandises volumineuses".
Le mot "estive" existe en français, il est issu de ces usages à partir du Provençal, n'en déplaise à Monsieur Dupont-Moretti, "garde des sceaux" si ignare qu'il ne sait pas à quoi servent les langues régionales si ce n'est pour lui, baragouiner… Et non, Mr le Ministre, les linguistes ont besoin des langues régionales, et même des langues mortes, pour expliquer le sens et l'histoire de nos langues, mais pour le comprendre, faut pas être si couillon que vous, il ne faut pas être Ministre tout simplement.
Il y a eu deux grandes villes pour le savon de Marseille, Marseille elle-même bien sûr avec ses dizaines de savonnerie situées près du port, proches des ressources d'approvisionnement qui arrivaient de l'étranger à partir du début du 19ème siècle, époque où le savon a pris son essor quand il a pu se libérer de la contrainte d'un ingrédient certes de qualité mais limité, l'huile d'olive.
La deuxième ville de savonniers n'était autre que Salon de Provence avec ses milliers d'arbres dans les contreforts de la Plaine de la Crau.
Il y avait des centaines de savonniers aussi mais des usines réelles de fabrication du savon, il y en a eu jusqu'à 14 dans une cité d'à peine 7000 habitants dans cette moitié du 19ème siècle qui voit arriver la richesse de la cité, avec la gare du train PLM.
C'est le début de l'épopée industrielle de cette ville essentiellement agricole, épopée à lire sur le livre cité ci-dessus.
Mais pourquoi ce mot estive est-il utilisé dans ce contexte industriel.
L'estive de Salon de Provence est un usage unique de ce mot : l'estive, c'est le lieu suffisamment frais et sombre pour conserver l'huile, pas trop frais car l'huile fige à partir de 5°, et sombre pour qu'il ne s'oxyde pas. Il y a bien un lien sémantique avec ces pâturages frais où on envoie les bêtes en été, et ces bâtiments frais et sombres qui vont permettre de stocker l'huile et le savon.
Autre précision qui nous est donnée ce jour de balade et qui va expliquer le chemin que nous allons suivre, au début du 19ème siècle, il y a des centaines d'estive à huile dans Salon, car tout un chacun, qui possède quelques oliviers dont il extrait quelques centaines de litre et qu'il vend, a besoin d'une estive pour l'entreposer. Puis il va se mettre à vendre du savon qu'il ne produit pas mais qu'il façonne en morceaux ou en copeaux et il va se dire savonnier. C'est ainsi que cette profession fut florissante en nombre mais dans les faits, les maîtres savonniers ne furent pas tant nombreux et il en reste aujourd'hui deux seulement.
Nous avons donc débuté par l'est de la ville, en partant du plateau où se trouve la route du val de Cuech.
C'est ici que se trouvaient les premières estives car elles étaient proches des oliviers de la colline, proche du canal de Craponne qui amenait son eau pour les moulins où on écrasait les olives pour en faire la pâte qui allait remplir les scourtins qui partaient à la presse. Et puis on était près aussi des montagnes où se trouve la bauco, cette herbe qui permettait d'entourer les bonbonnes d'huile en verre pour éviter la casse lors des transports qui se faisaient en charrettes sur des chemins d'ornières.
C'est ainsi que les estives vont suivre le canal de Craponne dans sa branche ouest, canal aujourd'hui couvert sur la très grande majeure partie de son trajet dans la ville.
Ce n'est qu'après l'arrivée du train à Salon, en 1873, l'ouverture des lignes sur Cheval-Blanc, Fontvieille, Aix, que la ville a pu connaître son boom économique et s'étendre vers l'ouest. Après asséchement des marais pour la gare, de grands boulevards et des rues perpendiculaires à la Haussmann se sont créées et c'est là que vont s'ouvrir les plus grandes estives et les plus grandes savonneries, celles qui vont faire de salon une réussite commerciale et industrielle de 1873 jusqu'à la guerre de 1939.
Voici le plan de cette balade.
Nous commençons au pavillon Imbert qui fut aussi la propriété d'un savonnier, huilier. Le bâtiment visible est celui d'habitation qui montre la richesse de ces entrepreneurs. Le bâtiment est devenu depuis une annexe des services financiers de la ville, le parc devant est ombragé par de superbes cèdres.
De la première savonnerie située dessous, il ne reste que la maison des propriétaires. Le portail est celui de l'époque, les initiales entrelacées et au-dessus, l'étoile juive et le carré des francs-maçons dont ils étaient membres. Les deux lions sur les poteaux rappellent le nom : savon Lion.
La Villa dite blanche qui vient ensuite est une autre savonnerie et huilerie, elle aussi vendue dans les années 1922 où elle devint une entreprise de boites métalliques.
A l'angle de l'impasse de l'œuvre, un torréfacteur existait et en fond de cour, les machines sont toujours existantes. La torréfaction fut un métier annexe fort développé à Salon à l'époque pour des raisons évidentes. Les huiliers et les savonniers avaient besoin de s'approvisionner en d'autres huiles que l'huile d'olive, ils allaient donc en Afrique équatoriale, à Madagascar, en Indochine s'approvisionner d'huiles de palmes, d'arachides, de coprah, d'oléagineux divers. Pour ceux que ça intéresse, voir les travaux de M. Xavier Daumalin, Professeur d'Histoire Contemporaine à la fac de Aix-Marseille, spécialiste en particulier de la vie industrielle du port de Marseille et des échanges avec les colonies. Lire son livre DAUMALIN Xavier, GIRARD Nicole et RAVEUX Olivier (dir.), Du savon à la puce. L’industrie marseillaise du XVIIe siècle à nos jours, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 2003
Les échanges se faisaient souvent entre matière première importée et en retour vente des produits finis venant de France. Les armateurs, qui ramenaient les huiles, ramenaient aussi bien d'autres produits et en particulier le café. Les industriels salonais se sont alors fait une spécialité de la torréfaction et les mélanges qu'ils ont réussi à créer ont été fort appréciés ; c'est ainsi que le café torréfié à Salon représentait 2.5% des cafés torréfiés en France et étaient exportés dans de nombreux pays.
Pour transporter les savons et les huiles, il fallait de nombreux contenants. C'est ainsi que s'est développé à Salon toute une industrie du bois pour créer des caisses mais aussi pour inventer, car c'est ici que ce fut fait, la paille de bois, la frisure qui permettait de caler et soutenir toutes les jarres d'huile, de caler tous les savons, les cafés torréfiés. C'est ici, dans cet établissement Lèbre que fut inventé ce produit et il s'en produisait aux meilleurs temps plus de 4 tonnes/jour. Les machines étaient alimentées par l'eau du canal de Craponne pendant la belle période et par des machines à vapeur en hiver. On voit encore un bout du canal et la force de son eau.
D'autres estives se voient aussi plus loin, la pente de la rue recouvre le canal de Craponne, c'est dire la puissance de l'eau qui permettait de faire tourner les machines. Les estives sont visibles par les petites fenêtres semi-arrondies qui servaient d'éclairage tout en maintenant assez d'ombre et surtout en empêchant par leur taille la chaleur de pénétrer.
Le canal de Craponne était si abondant que les moulins à huile étaient très nombreux, dans la rue des moulins il s'en recensait plus de 10 et quand on la traverse, on peut voir les voutes des ateliers où se concassaient les olives à travers les vitrines. La rue se termine sur le bâtiment moulin qu'avait construit Adam de Craponne, qui est aujourd'hui le siège de toutes les archives de cette œuvre monumentale qui date du début du 16ème siècle. Le moulin de Craponne se nommait des 4 tournants, car il possédait 4 roues tournantes pour créer et multiplier les forces générées par l'eau. Puis ce moulin a servi pendant de nombreuses années à produire l'électricité nécessaire au centre-ville. Avec l'électricité moderne, cette usine est abandonnée à une période où on se bat pour créer des énergies vertes, celle du canal n'est pas utilisée….
Petit détour dans notre balade par la collégiale St Laurent dont le porche Ouest comporte deux galets de la Crau pour rappeler que Salon est bien la porte de la Crau.
En face, les restes d'une estive avec ses petites fenêtres très caractéristiques.
Le point suivant où nous nous arrêtons est un ancien hangar des Etablissements Marius Fabre. Il est caractéristique de ce besoin qu'avait les huiliers et les savonniers de conserver leurs produits dans des bâtiments aussi frais que possible. Généralement les toits étaient à double recouvrement avec un espacement pour permettre de ventiler et ainsi empêcher la chaleur de chauffer le toit.
Plus loin, encore des estives, une avec ses fenêtres caractéristiques, l'autre avec un quai lui aussi caractéristique pour permettre le déchargement des charrettes en accès direct sans avoir à faire monter les tonneaux, les jarres et tout ce qui était lourd.
Une pointe d'humour en passant. La Montée de la transhumance n'a rien à faire ici, le chemin de la transhumance est bien plus loin. Mais sur le rocher dont elle permet l'accès se trouve une école et la rue, au temps passé, s'appelait la rue des ânes. La directrice ne pouvait pas laisser ses élèves se faire traiter d'ânes sans mettre en danger la réputation de son travail, elle a donc réussi à en faire changer le nom.
Une autre estive existe avec là aussi un quai de débarquement bien conservé et plus loin, le "château" de l'entrepreneur et comme toujours les bâtiments ont été vendus séparément.
Le pont d'Avignon n'existe plus, il a été recouvert lors de la création de la route au milieu du 20ème siècle par un remblai de plus de 8m. Il en reste un signe : le platane en photo semble sans tronc mais il faut comprendre que ses racines se trouvaient à plus de 8m en dessous et que donc son tronc initial est enseveli.
Un petit détour par l'ancien château du Pigeonnier qui appartenait à Auguste de Lamanon, bienfaiteur de Salon au 18ème siècle, le parc est devenu un parc de la ville, et les bâtiments du château sont maintenant propriété privée avec un Musée de la 2ème guerre visitable à certaines périodes.
La savonnerie Rampal Latour existe depuis 1828, et l'ancienne usine est visitable 2 jours par semaines, l'usine nouvelle se situe en dehors de la cité. Cette société est l'un des deux savonniers restants sur Salon.
L'huilerie Marie-Antoinette a un autre usage aujourd'hui, mais sa façade et son quai sont toujours présents.
Le château de Louanes est devenu un immeuble d'appartements, son parc appartient à la ville et les traces des estives avec les fenêtres si particulières existent toujours mais avec un autre usage.
Dernier point visité, quasi en centre-ville, sur une de ces avenues construites sur les marais après la construction de la gare de chemin de fer, le bâtiment d'habitation reste à côté du bâtiment industriel, tous deux caractéristiques, les estives sont dans la cour intérieure, non visibles.